Le phoenix

Сatégorie: Le blog 
Date: 24.09.2016

Le phoenix, cet oiseau qui se consume dans son propre feu, puis – renaît, ressuscite des flammes…

Nombreux entre nous ont gouté à la mort. Je ne parle pas de la confrontation avec la mort d’un proche, ou d’un moins proche, mais de la mort de notre propre âme. Quand la souffrance se fait tellement forte, que tu n’es plus capable de la ressentir, la solitude – si profonde, que tu en oublies l’existence des autres et ne tentes même plus de les rejoindre. Quand à la question: « comment vas-tu? », un silence alarmant résonne à l’intérieur.

Je vous écris. Vous me lisez. C’est à dire, que nous avons tous cette expérience, ressusciter des cendres, puisque l’âme de chaque homme ressemble à cet oiseau mythique, le phoenix. Pour que l’âme-phoenix ressuscite, il lui faut rencontrer le monde, soi-même, et l’autre.

Au début, il suffit d’ouvrir les yeux. Regarder autour de soi. Oui, le monde ne touchera pas l’âme morte, elle a perdu la capacité de le percevoir, ne voit plus les détails, l’univers ressemble à du papier peint, décoloré, flétri. L’immense effort d’entrevoir la vie autour de soi fait mal aux yeux, à la tête, il semble que tout autour de moi est aussi mort qu’à l’intérieur. Mais en ce moment là on peut s’emparer, par exemple… de son smartphone, ou de l’appareil photo. On peut photographier n’importe quoi. Pas forcément quelque chose de beau. Mais juste ce qui se trouvait sous tes yeux au moment où ton âme a ressenti quelque-chose. Ou au moment d’une forte sensation corporelle – la douleur, la faim… Tout simplement, fixer le moment qui ressemble à la vie. Ensuite, on peut sortir dehors avec son appareil. Et photographier tout ce qui aurait plu à ton âme lorsqu’elle était vivante. Photographier tous ces moments que l’âme vivante et saine aurait voulu garder, retenir, contempler. Encore mieux, si tu portes un carnet avec toi, et notes le jour et l’heure de la prise de la photo, mais aussi, dans les moindre détail, ce que tu ressentais, ce qui t’entourais, ce qui se passait à ce moment-là.

Tu ne remarqueras même pas comment, au fur et à mesure de cet exercice régulier, petit à petit, lentement, le monde qui t’entoure pénètrera au delà du mur épais de l’âme morte. Au début le papier peint retrouvera ses couleurs vives. Ensuite tu pourras palper leur relief… Et puis, comme par magie, le gout, les odeurs, les sons – reviendrons… Alors on peut se mettre à dessiner les moments les plus pleins de vie, pour les fixer d’un mouvement de la main, ne pas se limiter à un simple clic de la caméra. Le soir, on peut faire le collage du jour, à l’aide de cette mosaïque faite de photos, de croquis, de notes, d’impression fugitives… Peut être au début ces collages te paraitrons ennuyeux, c’était juste un jour comme les autres, habituel, morne, comme toujours… Ce n’est pas grave, tu le fais juste pour toi, parce que ton âme, de nouveau, habite ce monde.

Et vient le moment où le monde qui entoure l’âme, encore faible, mais déjà – renaissante, pénètre au-delà de l’objectif de la caméra, déborde. Il me touche. Une auto klaxonne, je me tourne, je l’entend, la cape de verre sous laquelle je tentais de ne pas exister est fissurée. Les feuilles tremblent et murmurent, les voix résonnent. Tombe une goute de pluie, je trésaille, non pas de froid, mais de vie. Je la sens. Je saute dans une flaque, éclaboussure, le monde laisse ses traces sur moi, je l’ai touché. Caresser une peau moite. Un sac de cuir. Un foulard de soie. Lisser une mèche rebelle. Donner son visage à la pluie ou au soleil. Goût salé dans la bouche. Je vis, j’ai un corps, le monde me touche, je touche le monde, je suis.  Casser une branche et dessiner dans la terre, sur le sable. Ramasser les feuilles d’automne, en faire une couronne, je – suis, je suis le phoenix, l’oiseau royal, qui se relève toujours des cendres. Et si je suis, je suis un homme, une femme, je suis capable de créer. Je peux apporter moi-même quelque chose dans ce monde, quelque chose qu’un autre, qu’une autre ne ferrait pas. Qu’importe – un tableau, un poème, un gateau, un bâton de chaise ou une danse. Mais l’oiseau-phoenix ressuscité sait chanter, sait créer.

Puisque je peux créer, je peux porter fruit, je peux le donner à quelqu’un. Si j’existe, tu existes aussi.

Quand je prendrais ma couronne de feuille d’automne, quand je la donnerai à l’enfant qui joue à côté dans les arbre, l’oiseau-phoenix ressuscité volera vers sa branche et chantera le chant de la Vie.